"Le Visiteur de Saoû" comédie pour mélomanes.
Assise à mon bureau entourée d’un foutoir grandiose qui me rassure et me stabilise un tout petit livre fait son possible pour émerger du désordre et se rapprocher de moi.
« Tu ne veux pas me parler ? » Bien sûr que je veux lui parler. « Tu ne me trouves pas beau ? » Si je le trouve beau. Il est un peu petit, c’est incontestable, mais Mozart n’était pas grand, Napoléon non plus. En plus tout ce que je fais en ce moment est petit. « Je suis tout de même plus grand que « le bébé » qui ne faisait que 63 pages ! » Exact, mais moins grand que « le Journal désespéré » qui en fait 77 sans parler d’" Au Secours Mrs Dalloway ", (ce que j’ai fait de plus normal,) avec 258 pages. Il encaisse la mine boudeuse. Je l’écarte doucement. Il revient, obstiné. « Pour "Le journal Désespéré d’un Écrivain Raté " tu as fait des tas d’articles, tu en parlais sans arrêt. » C’est un peu vrai. « Pour " Et le bébé était cuit à point" tu as même fait un petit concours avec trois exemplaires à gagner ! » Je ne connaîs pas ses sources mais elles sont irréfutables. « Et pour moi, » il se dresse sur la tranche, « et pour moi, qu’as-tu fait ? » Rien. Je n’ai absolument rien fait pour cet enfant qui, à juste titre, m’en fait amèrement le reproche. « En plus, » la voix n’est plus très sûre, « je ne suis pas fait pour être lu. Je suis fait pour être joué ! » Et c’est bien là tout le problème. Écrite pour le vingtième anniversaire du festival « Saoû chante Mozart », cette pièce devait être jouée, ensuite pas jouée, rangée dans un tiroir, puis, grâce aux efforts combinés de Pierre Vallier, Henry Fuoc et Jacques André, elle a finalement vu le jour. « A happy end » en somme et je le lui fais remarquer. « J’aurais préféré rester dans un tiroir pour l’éternité ! » déclame-t-il, plus Louis Jouvet que Georges Clooney. Je passe sous silence ces histrionismes mal placés et continue de ma voix la plus douce en disant qu’il va voir énormément de monde. Qu’il va assister à au moins deux concerts, le 8 et le 14 juillet, qu’il fera vraiment partie du festival. Il ne répond pas. Je caresse doucement le ventre du violoncelle, je frôle l’archet, je passe l’index sur Le visiteur de Saoû, comédie pour mélomanes. Je prends cet enfant malheureux et le serre contre mon cœur. Sa respiration, de plus en plus profonde, fait tourner délicatement les pages et dans un souffle j’entends sa voix :
« D’où je viens il n’y a ni pluie, ni neige, ni grêle, ni vent ! Il ne fait ni chaud ni froid et les saisons se confondent dans une seule et éternelle béatitude… En résumé, je souffre d’éternité chronique, et je m’enmerde ! » (page 57)
Puis doucement, d’une voix à peine audible, mais que j’entends avec une clarté qui m’émerveille, il joue sa pièce, pour moi.
Tout simplement.