Speed dating, ou rencontres dans la prairie
La canne a lu avec beaucoup d’attention le mot d’Hugo. Ensuite elle est partie discuter un long moment avec les deux oies, puis elles sont revenues toutes les trois, l’air plus décidé que suicidaire.
Elles sont maintenant installées dans mon bureau, devant mon ordinateur et gloussent à tout va. J’ai déménagé mes affaires, mes papiers, mes livres, que j’ai éparpillés sur la table de la cuisine, et essaye de travailler malgré les onomatopées et les exclamations. Car depuis quelques mois, je travaille. Ce fait est tellement inhabituel qu’il faut le signaler. En octobre j’ai signé un contrat avec une maison parisienne pour un livre qui entraîne un travail de recherche important. Au début j’ai dit non, je l’ai même dit deux fois, mais j’étais flattée, et me voici submergée pour le meilleur, et j’espère, surtout pas pour le pire. Moi qui ai toujours vécu dans l’imaginaire, c’est un bien grand saut, et avoir un échantillon de la basse-cour dans ma maison, en ce moment, n’est pas favorable à une concentration maximale. Mais que faire face à trois veuves qui reviennent de loin, et qui essaient de retrouver goût à la vie en surfant sur un site de rencontres spécialisé dans les canards et les oies ? (N’essayez pas de vous connecter car le mot de passe est très particulier et ne marche qu’avec les pieds palmés.)
Elles m’appellent. Je ne réponds pas. Elles hurlent. Je me rends à contrecœur.
Sur l’écran, une belle photo d’oie, qui ressemble, traits pour traits aux deux qui la regardent. Elles me demandent ce que j’en pense. Je dis qu’il est beau, car je suppose qu’il s’agit d’un jar. « Moi je préfère celui-ci », dit l’oie bis me montrant une autre photo identique à la précédente, car toutes ces oies sont interchangeables et je commence à avoir le tournis. Je ne suis jamais allée à Toulouse, mais j’imagine que tout le monde doit avoir la même tête et que c’est pour cela que mes oies s’appellent « des oies de Toulouse. »
Quant à la canne, par qui tout est arrivé, elle est en extase devant un beau canard au plumage noir ébène. Comme elle est aussi blanche que neige, cela évitera tous problèmes d’identification.
Mais les choses deviennent sérieuses, elles me demandent le numéro de ma carte de crédit car tout ce beau monde pourra ainsi être livré en Chronopost. Comme j’ai un immense besoin de tranquillité, j’obtempère. Mais sous le sceau du secret, car l’autre jour le coq m’a dit qu’il trouvait le gynécée un peu vieillissant…