Méteo et littérature.
Nous sommes totalement enneigés et sans téléphone. Tout est magnifique et immaculé. J’ai chaussé mes bottes pour aller saluer les animaux. La chèvre m’attendait avec un petit sourire tordu. « Ça fait longtemps. » Elle a raison, très longtemps même. « Tu travailles à ton opus magnus ? » Je n’aime pas bien la façon dont elle a dit « opus magnus », mais pour une fois que mes proches s’intéressent à ce que je fais, je ne peux m’empêcher d’être touchée. Je lui explique, alors, que j’entrevois la fin. Un mois ou deux maximum. Là, elle éclate de rire, s’esclaffe, tape les cornes contre la bergerie et montre tous les signes d’une hilarité extrême. Un mouton noir qui passait s’est même inquiété : « Elle doit être malade, elle ne rit jamais, ou plutôt pas souvent et quand cela lui arrive ce n’est jamais bon signe ! Moi je fais comme Johnny Hallyday, je me casse, » et il est parti se frayant un chemin à travers la neige fraîche. Je suis toujours étonnée de voir que les animaux sont au courant de tout, du moins des choses importantes de la vie, mais pour l’instant je suis préoccupée avec la chèvre qui, maintenant, se roule dans la neige. Je m’inquiète prudemment de son état. Elle se lève, se secoue et me regarde : « Tu as dit « la fin ? » J’acquièsce. « Mais c’est à peine le début ! L’éditeur va s’emparer de ton texte, il va le disséquer, le déchiqueter, le mettre en mille morceaux. Il va te demander de revoir, reconstruire, réécrire, remanier, voir même, » et l’horrible chose a marqué un temps d’arrêt pour bien appuyer là ou ça fait mal, « voire même, tout recommencer. »
Je tourne le talon dignement, pas facile dans 60 centimètres de poudreuse et regagne la maison. J’allais lui dire que le « Visiteur de Saoû » allait être joué en mai. Que j’étais vraiment très heureuse. Que j’avais rendez-vous la semaine prochaine avec le metteur en scène et puis finalement je ne dirai rien à personne.
Je me sens incomprise.
Une certitude, la neige est là pour durer et les choses vont devenir difficiles. Alors si jamais nous nous trouvons à court de nourriture, nous mangerons la chèvre.